Soeur Mauricette COUZIN témoigne...

Soeur Mauricette COUZIN, soeur missionnaire de Notre-Dame d'Afrique témoigne de sa mission: "les amis chinois d'un petit hôpital de Tanzanie ont contribué à faire de moi une missionnaire d'Afrique "enrichie' et "accrochée" à la Chine et à son Eglise.

Retour de Mission
 
J’avais passé une quinzaine d’années dans les collèges du Burkina-Faso, du Mali et du Ghana, quand j’ai été appelée à Paris, par ma congrégation des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique. Résidant dans le Quartier Latin pour un « service » de 4 ans auprès des jeunes (79-83), j’y ai vécu l’arrivée des « boat people », le soutien à Solidarno??, les actions en faveur du Soudan où la guerre s’installait: nous reprenions tous conscience, en Eglise, de l’importance des droits de l’Homme et de la nécessité d’être solidaires de ceux qui étaient victimes d’injustices.
 
De l’Afrique à la Chine…
 
Après une reprise spirituelle à Rome, je m’envolais fin 1984 pour la Tanzanie. Dès mon arrivée à Tabora, une petite ville au centre du pays, je m’engageais tout naturellement dans le groupe local d’Amnesty International, tout en reprenant des activités dans l’enseignement secondaire. Notre responsable de groupe était un avocat musulman qui avait rejoint Amnesty, dès sa fondation, alors qu’il faisait ses études à Londres. Les autres membres étaient protestants ou musulmans. Le prisonnier confié au groupe était un colonel nigérian qui fut assez rapidement libéré ; c’est alors que l’idée nous vint de demander à l’organisation de nous confier, cette fois, un prisonnier chinois. Nous côtoyions tant de Chinois en Tanzanie (chemins de fer, hôpitaux, formation de l’armée, gisements de pierres semi-précieuses) que nous pensions que des lettres venant de Tanzanie produiraient leur petit effet en Chine. Notre demande fut agréée et en juillet 90, nous recevions, à Dar-es-Salaam, où j’avais rejoint un nouveau groupe, un dossier sur la Chine et une feuille concernant le nouveau prisonnier qui nous était confié : le Père Jacques SU Zhimin, vicaire général de Baoding (Province du Hebei) en République Populaire de Chine.
 
Un engagement de longue durée
 
Mgr Jacques Su Zhimin.jpg Mgr Jacques Su Zhimin.jpg   J’ai gardé précieusement une copie de cette feuille de renseignements : nom du prisonnier, date et lieu d’arrestation ; condamnation : 3 ans de travaux forcés ; puis, plus énigmatiques : lieu de détention (un camp de travail près de Tangshan mais il n’y serait plus), santé (inconnue), date et lieu de naissance (inconnus), famille (rien d’écrit)… Pas de photo. Nous n’avions pas Internet à l’époque pour nous aider ! Comme il s’agissait d’un catholique, le groupe m’a allègrement chargée du dossier ! Pourquoi évoquer ce papier, me direz-vous ? Eh bien… Nous voici en 2012. J’ai quitté l’Afrique en 1995, puis Amnesty en 2006 pour rejoindre l’ACAT-France à Paris et je travaille toujours pour la libération de Mgr Jacques SU Zhimin… car, entre deux arrestations, il est devenu l’évêque « clandestin » (non approuvé par le gouvernement) de Baoding. Il a continué à être arrêté, relâché, repris… Il a actuellement 80 ans et a passé 44 ans de sa vie en détention sous diverses formes : travaux forcés, assignation à résidence, prison, détention au secret.
 
Avec cet engagement au cœur, depuis plus de 20 ans, j’ai eu le temps d’apprendre à connaître la Chine, de me documenter sur son Eglise à la fois florissante et souffrante, sa dictature, son système judiciaire, ses dissidents, etc. et puis j’ai été sollicitée en Belgique et en France, pour travailler à la section Chine d’Amnesty International entre 1995 et 2006. Cela m’a beaucoup apporté. J’ai accumulé au cours des ans une quantité respectable d’informations sur Mgr SU et j’ai même pu rencontrer des gens qui le connaissaient.
 
En Belgique, à Louvain-la-Neuve, où j’ai passé 3 ans, J’ai aidé des étudiants chinois et des prêtres chinois à apprendre le français ou l’anglais… et ils m’ont aidé à acquérir des rudiments de leur langue. Certains de mes élèves prêtres ont des responsabilités importantes dans l’Eglise de Chine maintenant.
 
C’est ainsi que les amis chinois d’un petit hôpital de Tanzanie ont contribué à faire de moi une missionnaire d’Afrique « enrichie » et « accrochée » à la Chine et à son Eglise. Mon engagement en surprend plus d’un … et pourtant notre fondateur, le Cardinal Lavigerie, dont la vocation missionnaire fut éveillée en écoutant un évêque de Mongolie, ne désavouerait pas mon engagement ; il avait le souci de conscientiser aux injustices de son temps et s’est engagé à fond dans la campagne anti-esclavagiste. Son attachement à l’Eglise universelle l’a conduit à fonder deux instituts pour le continent africain (délaissé à l’époque) qu’il souhaitait devenir missionnaire, un jour, à son tour … Ne disait-il pas … « Je suis tout à tous parce que j’ai dit au Dieu de tous, je suis à toi » ?
 
Le parrainage Chine à l’ACAT
 

 L’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) est une organisation œcuménique qui regroupe donc des catholiques, des protestants et des orthodoxes. Les adhérents forment généralement des groupes locaux qui se rencontrent régulièrement agissent et prient pour une cause ou un prisonnier. Certains adhérents travaillent individuellement.

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 xu Weli family.jpg xu Weli family.jpg  A gauche,

le dissident XU Wenli, (avec sa femme et sa fille),  

libéré après 19 ans de prison. 

A  droite,

Soeur Mauricette, avec XU Wenli et son épouse,

au Trocadéro à Paris pour l'anniversaire

du massacre de Tiananmen.

 

A mon arrivée à l’ACAT, nous avons mis sur pied un « parrainage Chine ».

Nous avons choisi 8 chrétiens chinois, 4 catholiques et 4 protestants,

détenus à cause de leurs activités religieuses « illégales ».

Les activités religieuses sont illégales quand les personnes impliquées refusent d’adhérer

à l’association du Parti communiste athée qui veut contrôler leurs moindres faits et gestes en vue de l’institution d’une Eglise nationale chinoise. Ces détentions, toutes en violation de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, sont parfois la conclusion d’un procès inique assorti de tortures, ou ce sont des détentions arbitraires, sans jugement, ni condamnation, des détentions « au secret » dont on ignore le lieu et qui rendent tout contact impossible avec le détenu. Mgr SU vit actuellement ce type de détention depuis 15 ans. Il a disparu le 8 octobre 1997. Avec Mgr SU, l’ACAT soutient Mgr Côme SHI Enxiang, 89 ans, disparu depuis le 13 avril 2001 (un Vendredi Saint !) qui totalise également plus de 40 ans de détention dans sa vie.

 
Chacun des 6 prisonniers qui nous restent, pour le moment, (2 protestants ont été libérés avant la date prévue), est « adopté » par une quinzaine de groupes de l’ACAT qui envoient régulièrement des messages au prisonnier, soit à la prison pour ceux qui ont été jugés et condamnés (c’est le cas des protestants) soit à la sécurité publique de la province qui les détient au secret (cas des catholiques). Nous ne recevons jamais de réponse de Chine.
 
Les prisonniers n’écrivent jamais à l’étranger et on ne sait même pas si nos cartes leur arrivent mais nous savons qu’elles « protègent » ces détenus en prouvant qu’ils sont connus à l’étranger, qu’on pense à eux malgré le temps qui passe … et puis, certains gardiens sont compatissants. Des observateurs chinois, nous encouragent à persévérer en ce sens.
 
L’Eglise catholique en Chine : un sujet épineux
 
Les cas des catholiques chinois que nous suivons sont particulièrement douloureux, généralement ignorés de nos Eglises, soit par manque d’information car on a un peu oublié qu’il il y a une persécution religieuse là-bas depuis plus de 50 ans, soit par souci « diplomatique » : on ne veut pas embarrasser ou mécontenter les Chinois qui ont fait le choix politique d’adhérer aux volontés leur gouvernement (avec des motivations très variées !) et qui vivent parmi nous. Les prêtres ou religieuses de Chine que nous rencontrons en France n’aiment pas que nous parlions de leurs frères et sœurs détenus. J’ai entendu tout dernièrement un jeune prêtre chinois qui, au cours d’une réunion, reprochait à un site italien de revenir souvent sur le sort des chrétiens emprisonnés. « C’est du négatif tout cela, ce site ne relève que le négatif : regardez le positif dans l’Eglise de Chine, il s’y passe de belles choses ! » Comme si accepter de souffrir pour sa foi était mal et, il ajoutait, en privé, en partant avec un grand sourire, que les droits de l’homme était une « notion grecque » sous-entendu : « un peu dépassée »… Tertullien a dû se retourner dans sa tombe, lui pour qui « le sang des martyrs était la semence des chrétiens » ! Cela en dit long sur leur formation humaine, spirituelle et surtout politique … Ils sont méfiants, ils ont peur et n’ont toujours connu qu’une soumission, du moins extérieure, à leur gouvernement. La question qui fâche à ne pas poser à un prêtre chinois ( ou à une religieuse chinoise ) est celle-ci : « Etes-vous de l’Eglise « officielle » ou de l’Eglise « souterraine ? ». On vous répondra sèchement qu’il n’y a qu’une Eglise en Chine… et vous créerez un froid immanquablement. Il vaut mieux patienter, éveiller la confiance et peu à peu vous y verrez plus clair sans avoir à poser de questions.
 
Certes, l’Eglise catholique de Chine est bien vivante, et nous nous en réjouissons. Il est toujours bon de le savoir et de le rappeler. Ici et là, des « officiels » travaillent avec les « clandestins » dans les paroisses et depuis des années. Cependant, aussi longtemps, qu’il y aura, dans certaines provinces, des prêtres, des évêques et des chrétiens privés de liberté, ou victimes de pressions graves, peut-on vraiment dire qu’il n’y a qu’une seule Eglise en Chine ? Et peut-on passer légèrement au-dessus de 60 ans de persécutions ? Le 29 janvier, à Paris, lors de la messe solennelle du Nouvel An asiatique, dans le XIIIème arrondissement, Mgr Xavier Rambaud a glissé cette petite phrase au cours de son homélie : « il faut oser prier pour ceux qui sont en prison » … C’était un bel appel discret à l’unité de l’Eglise de Chine ; c’était la première fois que je l’entendais sous cette forme dans une assemblée majoritairement chinoise. La prière de tous et l’action de ceux qui ne risquent rien sont essentielles pour le retour de la vraie liberté religieuse dans cet immense pays.
 
Dernièrement, la pression internationale s’est faite plus instante. Le dialogue patient et respectueux n’a pas porté les fruits escomptés. Il faudrait être fermes tout en évitant de faire « perdre la face » aux autorités chinoises » : un exercice de style bien difficile ! Beaucoup continuent à travailler « discrètement » et je me demande parfois si ce n’est pas peine perdue. Les caciques du Parti, même en retraite, sont toujours actifs, derrière la scène. Personnellement, je doute fort que les gouvernants actuels soient libres d’agir comme ils le souhaiteraient dans leur propre pays…

Article publié par Coopération missionnaire • Publié le Mardi 06 mars 2012 - 13h43 • 4028 visites

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