La maison paroissiale de Fourmies abrite une communauté de trois sœurs vietnamiennes de la congrégation des Sœurs Missionnaires de Marie Reine du Monde, arrivées en France depuis une dizaine d'années ; elles nous ont reçus le 13 juillet 2019.
1. Merci de nous accueillir chez vous. Pouvez-vous en premier lieu nous décrire votre parcours, du Viêt Nam à Fourmies ?
Marie :
J'ai soixante-trois ans. J'ai 10 frères et sœurs, je suis l’aînée. Notre famille, catholique, originaire du Nord Viêt Nam (diocèse de Thai Binh), a migré au Sud au moment de la partition (1954). J'ai connu, par une cousine religieuse, les Sœurs Missionnaires de Marie Reine du Monde. Je suis devenue postulante à onze ans, et j'ai prononcé mes premiers vœux en 1974. Je travaillais dans une imprimerie à Saïgon. Après la réunification (1975), de grandes restrictions ont été imposées à la liberté de culte des chrétiens ; la vie des communautés est devenue difficile, il fallait se cacher, et l'essaimage était interdit. J’ai fait le catéchisme chaque dimanche dans la paroisse Cho Dui, diocèse Saigon, visité les familles pauvres dans quelques quartiers et donné la communion aux malades à l’hôpital.
C'est en 2008, suite une démarche de Mgr Garnier auprès de notre communauté, que j'ai été appelée, avec deux autres sœurs (Sœur Anne et Sœur Myriam), à venir en France pour trois mois, afin d'apprécier si une implantation au sein du monastère Clarisses de Fourmies était possible. Après un retour au Viêt Nam en Décembre 2008, nous sommes revenues en février 2009 à quatre ! Sœur Marie de l'Assomption s'est jointe à notre première communauté de trois sœurs. Aucune de nous ne parlait encore le français !
Je suis arrivée dans le Diocèse de Cambrai le 21 février 2009. Les premiers jours étaient très difficiles : la langue, les coutumes et les pratiques, mais surtout la langue, bien que, au Viêt Nam, j’ai été préparée à ce dépaysement.
Lorsqu'on se trouve devant la réalité, c'est bien différent. Monseigneur Garnier et de nombreuses personnes ont tout fait pour créer des conditions favorables à l’apprentissage de cette langue :
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Les sœurs Clarisses qui nous ont aidées dans les premières étapes et continuent pour les détails de la vie quotidienne.
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Le directeur et les professeurs de l’école Saint-Pierre à Fourmies.
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Les professeurs de l'école Inlingua qui nous ont donné un cours intensif de français pendant 3 semaines en Juin 2009.
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Les bénévoles de l’Association de prévention de lutte contre l’illettrisme « Mots & Merveilles » de Fourmies.
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Les bénévoles à Fourmies
A la fermeture du monastère des Clarisses en 2012, notre communauté s'est installée ici, à la maison paroissiale de Fourmies.
Marguerite-Ancilla :
Je viens d'une famille de 7 enfants. Papa était militaire et maman mère au foyer. Je suis la troisième, mon frère et ma sœur aînés sont décédés à cause de la maladie.
Toute petite, je n'avais pas la vocation religieuse, je voulais devenir capitaine de navire ou d'avion. Un jour, une religieuse (des cousins et cousines de mes parents étaient en religion) m'a dit : "Si le Seigneur te veux, il t'appelle". A seize ans j'avais pris tout à coup, la décision d'entrer dans la congrégation des Sœurs Missionnaires de Marie Reine du monde. J'ai prononcé mes premiers vœux en 1985, sous le régime communiste. Quand j'étais postulante, la matinée je me présentais chez les sœurs, mais le soir nous devions nous disperser chez les habitants du village.
C'était difficile à vivre, mais nous avons apprécié « ce temps malheureux-là », car il a fait grandir ma foi, et ma relation avec le Seigneur s'est fortifiée, de pas en pas, doucement et patiemment. La congrégation m'a appris et m'a aidée à m'améliorer, à grandir et m'enrichir par les études du caté, de la liturgie …
J'ai travaillé comme enseignante en nos écoles maternelles du lundi au vendredi (nous avons 14 écoles maternelles à Ho Chi Minh ville et dans les autres diocèses) ; les week ends étaient le temps consacré aux enfants du caté et à visiter les familles pauvres des élèves. Ceci jusqu'en 2013, où notre mère supérieure m'a demandé : "Est-ce-que tu peux quitter le pays pour continuer la mission en France ?".
Je suis arrivée ici en juin 2013. Je cherche encore tous les jours ma mission : Comment vivre ma vie quotidienne simplement avec cette intention de proclamer l’Évangile aux autres ?
Myriam :
J'ai 53 ans. Je suis né dans une famille catholique. Je suis l'aînée de 9 frères et sœurs. Une sœur est comme moi dans la congrégation des Sœurs Missionnaires de Marie Reine du monde et un frère est Salésien de Jean Bosco.
Mon père et les garçons ont quitté le Viêt Nam en 1975, au moment de la réunification, sur un boat people. La police l'ayant appris et cherchant à obtenir des infos sur le passage a fait subir à ma mère plusieurs interrogatoires.
Heureusement dans notre paroisse, il y avait une communauté des Sœurs Missionnaires de Marie Reine du monde. Petit à petit j'ai lié connaissance avec les sœurs. Ainsi j'ai pu entrer directement dans la congrégation et apprendre avec elles ; l'entrée à l'université était interdite aux catholiques.. Comme l'a dit sœur Marguerite, le soir on sortait pour dormir dans la famille ou chez l'habitant. Car la police pouvait en pleine nuit pénétrer à l'intérieur de couvent, nous arrêter et nous mettre en prison. C'était difficile et dangereux. Chaque jour en cachette, j’ai appris tout ce qu’il faut pour devenir une religieuse : les documents sur la vie consacrée, l’histoire de l’Église, la Bible, avec les Sœurs ou les Prêtres. L’année 1994-1996 j’ai continué mes études à l’école de théologie du diocèse de Saigon, en même temps j’ai appris le français à l’école des Sœurs de Saint Augustin.
Maintenant ma famille habite Grenoble, c'est pourquoi je connais un peu la France. J'ai prononcé mes premiers vœux en 1991, je suis arrivée en France avec Sœur Marie, et j'ai fêté ici mon jubilé (25 ans). Çà va vite !
Je suis arrivée en France avec Sœur Marie,(septembre 2008) et grâce au bénévoles mon français a progressé. Avec nos 2 Sœurs maintenant, je viens de faire le DELF A2 à Lille (Diplôme d'étude en Langue Française). Nous poursuivrons les DELF B1, B2, C1, C2 dans l'avenir.
Je participe tous les deux ans à la retraite des membres de notre Maison Mère au Viêt Nam, et après j'en profite pour rendre visite à ma famille.
2. La congrégation des Sœurs Missionnaires de Marie Reine du monde est peu connue dans notre diocèse, pouvez-vous brièvement nous la présenter (histoire, orientations, implantation...) ?
Le 14 septembre 1953 Mgr Peter Mary Chi Ngoc Phạm, évêque de Bùi Chu au Nord Viêt Nam, établit les Amantes de la Croix de Bùi Chu, comme congrégation religieuse canonique régie par un décret du Vatican. Dans la lignée de la plus ancienne congrégation féminine du Viêt Nam, les Amantes de la Croix, fondée en 1670 par Mgr Pierre Lambert de La Motte, membre des Missions Étrangères de Paris, cette congrégation est vouée à la fois à la contemplation (méditer sur la Passion de Jésus) et à l'apostolat actif (l'enseignement du catéchisme, la visite à domicile des malades et des pauvres, et l’évangélisation).
En 1954, avec des milliers d'autres habitants du nord qui ont choisi de ne pas vivre sous le régime communiste, la congrégation a émigré vers le sud. La même année, à la demande de Mgr Phạm qui souhaitait qu'un aumônier puisse assister les Sœurs dans leur mission, la Congrégation de Marie Corédemptrice (aujourd'hui Congrégation de la Mère du Rédempteur) a envoyé un de ses prêtres, le Père Bernard Hoàn Khải Bùi.
Avec le consentement de Mgr Phạm, le père Bùi a écrit de nouvelles Constitutions qui ont ajouté deux nouvelles spiritualités : l'enfance spirituelle évangélique avec Sainte Thérèse de Lisieux, et la dévotion parfaite à Marie selon saint Louis Grignion de Montfort ; il a aussi proposé un nouvelle appellation pour la congrégation : les Sœurs Missionnaires de Marie Reine du monde. Ces constitutions et le changement de nom ont été approuvés canoniquement par le Vatican, et reçus par la Congrégation par l’intermédiaire de l’archidiocèse de Saigon le 31 mai 1966.
Aujourd'hui, au Viêt Nam, environ 500 sœurs réparties dans 16 communautés (une dans quelques diocèses + un orphelinat + 2 maisons de retraite + 16 écoles maternelles ; la Maison Mère est à Ho Chi Minh ville) travaillent pour l'éducation des enfants dans les écoles maternelles, donnent des cours de catéchèse, œuvrent auprès des enfants pauvres et des orphelins, et offrent la pastorale et une assistance médicale aux plus démunis.
En 1986, Rome a créé la région américaine pour tous les membres résidant aux États-Unis. Cette région a son propre programme de formation et de noviciat ; il existe des communautés dans les diocèses de St-Louis et de Kansas City-St. Joseph (Missouri), et dans le diocèse de Dallas (Texas), la Maison Provinciale est à Springfield-Cape Girardeau (Missouri).
3. En communauté à Fourmies depuis 2008, que pouvez-vous nous partager sur votre vie, ici (accueil, insertion, activités missionnaires) ?
Nous avons reçu ici à Fourmies un formidable accueil !
A notre arrivée, l'apprentissage de la langue était prioritaire pour exercer n'importe quelle forme de mission. Nous avons bénéficié de cours intensifs de français sous la férule d'une sœur ursuline de Saint Saulve, Marie de l'Incarnation, spécialisée dans l'apprentissage du français aux adultes étrangers et les sœurs Sainte Thérèse à Avesnes et au Quenois nous ont aidées. Des professeurs du lycée saint Pierre de Fourmies (voisin du monastère), et des bénévoles, professeurs en retraite ou personnes simplement généreuses et compétentes, ont prêté leur concours pendant six mois pour nous assurer six heures de cours journaliers (cf. 1. Parcours de Marie). C'est grâce à cette belle chaîne de générosité, de solidarité, de compétence, que nous avons pu assez vite nous exprimer dans un français très correct, et nous consacrer pleinement à notre première mission : l'assistance aux sœurs clarisses, et aussi répondre à quelques autres sollicitations, comme par exemple :
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l'organisation d'un spectacle au lycée (danses, vêtements vietnamiens)
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le fleurissement pour la procession avec la statue de la Vierge au mois de mai (à la chapelle du monastère)
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la célébration du dimanche du Bon-Pasteur / dimanche des vocations (différents groupes religieux présents en tenue locale).
A partir de 1972, après la fermeture du monastère des Clarisses, notre communauté, avec les bénévoles, s'est orientée vers de nouvelles missions proposées par la paroisse, qui correspondent précisément à notre charisme :
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les visites dans les maisons de retraite (Delloue à Fourmies, le Chemin Vert à Trelon, EHPAD de Wignehies), à l'hôpital de Fourmies (donner la communion aux personnes âgés et malades au pavillon Michelle Collet, visites à la maternité).
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l'enseignement de la catéchèse : avec les catéchistes ou avec un bénévole.
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la participation à la vie de la paroisse : à la décoration florale des églises (avec une responsable), à la chorale paroissiale, à l'équipe funéraille (comme organiste).
4. Des projets ?
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Proclamer la Parole du Seigneur par notre simple présence.
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Être fidèle à Baives et Wallers une fois par mois pour animer la messe.
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Avec les bénévoles, continuer et perfectionner nos petites missions discrètement et infatigablement.
Merci mes sœurs et félicitations pour votre maîtrise du français !
Propos recueillis par Michel LAISNE