L'abbé Évariste ZOUBGA, fidei donum originaire du Burkina Faso, a été accueilli en septembre 2018 à Caudry ; nous l'avons rencontré le 23 février.
Après l'assassinat le 15 février d'un missionnaire (le père salésien Antonio César Fernandez), certains observateurs jugent la situation des chrétiens au Burkina Faso "alarmante" (cf. article de AED : https://www.aed-france.org/burkina-faso-lassassinat-dun-missionnaire-reflet-de-la-situation-alarmante-du-pays/) ; que pouvez-vous nous partager sur ce point ?
Je crois que la situation au Burkina Faso s'est dégradée progressivement depuis le départ de l'ancien président Blaise COMPAORE ; cela a commencé par le Nord, une attaque d’envergure à Ouagadougou en janvier 2016 et petit à petit les attaques terroristes se sont déplacées vers l'Est, une zone forestière où les groupes armés peuvent se mettre à l'abri. Actuellement, c’est la quasi-totalité du Burkina Faso qui est concernée. Les attaques se sont multipliées sans une réaction conséquente des forces de défense et de sécurité, aussi les terroristes se sont vus comme en terrain conquis. L'assassinat du père Antonio César Fernandez intervient dans ce contexte et touchant directement un des nôtres, un prêtre.
J'ai appris cet assassinat avec beaucoup d’émotion et de douleur mais aussi de frustration. D'abord, on se sent forcément attristé et diminué dès qu'il y a mort d'homme. Ensuite, la mort du père Fernandez me plonge dans un sentiment de frustration, car c’est vraiment trop ajouter au sacrifice de l’innocent qui a accepté d'abandonner père, mère, frères et sœurs au loin et de venir jusqu’à nous pour annoncer Jésus Christ.
Enfin, selon le témoignage d’un des prêtres qui se trouvait avec lui, la "faute" de père Fernandez aurait été d'avoir demandé aux hommes armés qui l'avaient arrêté, pourquoi ils étaient en train de briser les vitres de trois véhicules garés à proximité (sans doute les véhicules des douaniers abattus) et de les brûler à l'essence. Ils l'auraient alors emmené à l'écart dans la nature et l’auraient abattu à bout portant.
Cela nous peine, cependant on ne devrait pas céder et baisser les bras par crainte de notre vie qui n’appartient qu’à Dieu. Ce que les terroristes recherchent, c'est de semer le découragement et la peur, l’unique arme que possède le diable contre l’Homme. Mais on n'arrêtera pas d'annoncer l’évangile tant qu’il y aura des âmes à gagner au Christ ; on continuera de parcourir villes et campagnes, de proclamer la Bonne Nouvelle. Ce n’est pas parce que l’on s’expose à des accidents que l’on arrête de voyager !
Les menaces qui pèsent sur les catholiques ne datent pas de maintenant ; l’Église catholique a été au cours de l’histoire confrontée à des menaces et attaques de toutes sortes, et à mon humble avis, il serait naïf de minimiser les signes annonciateurs d’un mal à la cible aveugle. Il y a quelques années, on a trouvé la grande croix qui trône au chœur de l’église cathédrale de chez moi (Dédougou) fracassée en trois sans que l’on ne sache qui a commis cette forfaiture. Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2018, l’église sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de Dissin, une paroisse d’un diocèse voisin (Diébougou) a été l’objet d’actes de vandalisme : la statue de la grotte mariale brisée, toutes le statues à l’intérieur de l’église décapitées et déposées au chœur avec un message faisant allusion à l’interdiction biblique d’adorer des images. Une enquête a été ouverte ; je ne sais pas où on est. Ce sont des actes jamais vu jusque-là et avec l’assassinat du Père Antonio César Fernandez, je pense qu’il faudrait prendre au sérieux ces actes comme menaces ouvertes à notre église. Dans le diocèse de Dédougou d’où je suis, l’évêque n’a pas hésité à annuler le pèlerinage diocésain annuel justement au regard de la précarité de la situation et des menaces actuelles. Il faut savoir que l’Église, qui prône la charité et défend la vie, se trouve aux antipodes de l’extrémisme djihadiste et de ce fait, devient forcement une cible potentielle.
Les zones fortement concernées par les attaques répétées sont évidemment celles qui paient le plus lourd tribut. Le tourisme au Sahel a pris un coup. Les expatriés et le personnel notamment dans les mines de manganèse, d’or, etc... dont la présence n’est pas indispensable est parti par peur des enlèvements et des attentats à l’appel de leur ambassade. L’administration devient de plus en plus absente au Nord. Beaucoup de populations continuent de migrer du Nord vers le Centre cherchant à se mettre à l’abri. Au niveau scolaire les chiffres sont écœurants : plusieurs centaines d’établissements primaires et secondaires ont fermé jetant au chômage plus de quatre mille enseignants.
Les relations inter religieuses ?
De façon générale, on peut apprécier et saluer la bonne entente qui existe entre les communautés religieuses (catholiques, musulmanes et traditionnelles) au Burkina Faso. Dans la région de l’Ouest en particulier, la convivialité se caractérise par les visites de courtoisie entre autorités religieuses, la participation aux grands offices religieux comme les fêtes de Ramadan ou Tabaski, les ordinations sacerdotales, etc. Dans les quartiers et les familles tout le monde est confondu. On trouve des Musulmans comme des chrétiens ou des adeptes de la religion traditionnelle dans une même famille et cela ne dérange personne. On vit en symbiose. Mais avec les problèmes sécuritaires actuels, on sent de plus en plus un climat de suspicion, de méfiance et une détérioration des rapports notamment au Nord. Mais quand des mosquées ont pu servir de lieux de prière avant des attaques sanglantes, quand il s’avère que des gens se disant fidèles d’Allah prêchent et incitent à la violence, je veux parler du Nord en particulier, il y a évidemment une détérioration des rapports et on a de la peine à savoir qui est fidèle de qui ne l’est pas. A titre illustratif, ce n’est pas par hasard si aujourd’hui, des voix se lèvent de plus en plus pour réclamer l’interdiction du port de ce voile religieux alors qu’il y a quelques années ça ne dérangeait personne.
A 42 ans vous arrivez à Caudry, quel a été votre parcours ?
Je suis rentré au grand séminaire St-Pierre St-Paul de Ouagadougou en 1997 ; j'y ai fait deux années de philosophie, puis j’ai été orienté à Koumi pour les études théologiques ; à l'issue de ce parcours, j'ai été ordonné prêtre à la cathédrale de Dédougou en 2004.
J'ai commencé le ministère par l'enseignement : comme professeur au petit séminaire de Tionkuy (en SVT et EPS) pendant 3 ans.
Après une année comme vicaire à la paroisse de Ouakara, j'ai travaillé deux ans en radio au centre diocésain de communication de Dédougou (le CEDICOM créé en 1989 pour promouvoir la communication pastorale et la communication pour le développement au sein du diocèse et dans la Région de la Boucle du Mouhoun) ; il dispose d’une radio très active, "Fréquence Espoir" qui émet du lundi au jeudi de 6h à 23h, le vendredi et le samedi de 6h à 24h, le dimanche de 6h à 22h.
C'est à ce moment qu'on m'a demandé de faire des études au Bénin : une licence en réalisation audiovisuelle avec pour option, cinéma et télévision, à Cotonou
Quand je suis rentré, j'ai été nommé directeur de la radio. "Fréquence Espoir" est une radio très présente, beaucoup sollicitée, une des premières radios de Dédougou, la troisième radio catholique du Burkina Faso.
Vers la fin de ma deuxième année comme directeur de la radio, le père Judes BICABA, l'évêque de Dédougou, m'a reçu un jour et annoncé son désir de m’envoyer en mission et de nommer un autre directeur. Malheureusement sa santé l'a empêché d'être présent dans les affaires du diocèse et je me suis retrouvé vicaire à la paroisse Ste-Thérèse de l'Enfant Jésus à Houndé, une année, puis une autre. C'est là que le vicaire général d’alors, l’abbé André ZERBO (entre temps Mgr Judes BICABA était décédé) m'a appelé pour me demander si mon passeport était à jour, parce que j'allais partir. C'était dans le diocèse de Cambrai. Je ne savais même pas où, j'ai dit "d'accord".
Je suis arrivé le 16 septembre à Paris. J'ai reçu à Caudry un accueil très chaleureux par l’abbé Hervé Le Minez que je connaissais un peu. Et j'ai découvert ici un peuple très hospitalier. On se dit en France, c'est un pays où les gens n'ont pas le temps, ça court sans arrêt, il faut aller au boulot, on n’a pas le temps de se distraire, bref, j’avoue qu'il y a eu beaucoup de préjugés qui se sont révélés heureusement faux pour moi. J'ai été très agréablement surpris par l’accueil qui m’a été réservé, j'ai rencontré des personnes très intéressées, ouvertes, comme si on s'attendait à moi ! Cela m'a beaucoup réjoui naturellement et contribué à me mettre à l’aise dans mon ministère.
Depuis quelques mois vous découvrez la France et notre région, vous découvrez la vie de l’Église dans le doyenné de Caudry et dans le diocèse... Qu'est-ce qui vous surprend ? Qu'est-ce qui vous marque ?
La diversité des cultures est une évidence d’un milieu à un autre. J'ai découvert ici un mode de vie avec des habitudes sociales différentes ; en même temps je n'ai pas ressenti – malgré le changement de milieu – ce sentiment de dépaysement dans lequel on pourrait être perdu. J’ai eu en effet l’honneur et la joie d’être accueilli tel que je suis et porté par tout le monde. Cela m’a permis de comprendre beaucoup de choses parmi lesquelles cinq traits m'ont en particulier marqué :
- La liberté accordée à l'enfant
L’attachement à la liberté tant exaltée, magnifiée et avec juste raison, m’est parue vraiment manifeste en matière d'éducation de l’enfant. Chez nous l'enfant craint l'adulte, une crainte révérencielle bien sûre ; ici l'enfant est roi, il est libre, son avis est requis, même pour ce qu'on pense bien pour lui. Il doit être consulté, et son consentement est nécessaire. C'est bien, mais cela peut pousser aussi l'enfant à grandir avec un peu de "facilité".
- La maison, cellule de vie
Chez nous, facilement on va d'une concession à une autre. On ne passe pas sans s’arrêter devant chez X ou Y, on bavarde un instant, on s’amuse, tandis qu’ici chacun se suffit à lui-même, tout le monde a les moyens, personne ne s’intéresse à l’autre. Au début je demandais "où sont les gens ? " et je m’interrogeais avec une pointe d’humour "est-ce que je ne vis pas dans une prison dorée ? " Mais j’ai compris par la suite que les rapports qui régissent les personnes ne sont pas les mêmes que chez moi. Le fait du voisinage ne suffit pas ici par exemple à créer le rapprochement social. Le "chez soi", ma maison, mon logement est si capital qu’on s’y installe ; on va au travail, à l’église et à la fin, on va chez soi. Ce sont d’autres façons de faire que l’on découvre qui ne nous sont pas familières mais dont on s’accommode pour peu que l’on soit ouvert et non renfermé sur soi-même.
- Les habitudes alimentaires totalement différentes
Aucun de nos mets n’est précuit ou traité pour être conservé. On les prépare et ça prend énormément de temps ; ici, tout semble traité, conditionné. Même les aliments bio paraissent génétiquement modifiés. La cuisine est alors souvent rapide. Quelques minutes suffisent pour la table soit prête. Par contre, on y passe facilement des heures entières, on mange mais on échange aussi, et j’ai compris que c’était un moment fort de convivialité.
- La présence de l'Histoire
On sent que la France a vraiment une histoire ; je ne dis pas que nous n’en avons pas, non ! Mais ici l’histoire vécue et exprimée, on la vit à tout instant et en tout lieu. Que ce soit les rues, les murs, etc... tout enseigne l’histoire. On a plein de choses à découvrir et il convient de saluer à sa juste valeur le devoir de mémoire qui est fait avec minutie relativement aux nombreuses célébrations historiques, les commémorations d’événements dans toutes les localités et à tous les échelons. Pour nous qui découvrons la France c’est simplement magnifique, et c’est bon pour les générations futures.
- L'effort de civisme
Le civisme ici est hautement louable, le respect du bien commun est sacré. Chacun garde un sens élevé du devoir et cela se ressent à travers l’accueil, la ponctualité, la rigueur des prestations dans les services privés et étatiques, le souci d’entretien, les aménagements d’infrastructures immobilières, etc...
Sur le plan ecclésial, c'est une découverte et une richesse de jour en jour. Je collabore pour la première fois avec des diacres permanents. Dans mon pays le Burkina Faso, je n’en connais pas un seul. Ce sont plutôt des catéchistes qui ont en charge des communautés villageoises. L’organisation pastorale contraste fortement d’avec ce que je vivais auparavant. Les doyennés occupent ici une place prépondérante dans l’animation de la vie pastorale.
Je connais la réalité théoriquement mais pas dans le vécu. On parle souvent d’églises "vides" de France, ce n’est pas faux. Ce qui frappe tout de suite, c'est que les fidèles laïcs qui sont engagés dans les divers ministères le font à fond, et que pour une bonne part, ce sont des femmes qui tiennent les rênes des services comme l'économat, la préparation de la liturgie et la célébration des funérailles en particulier, l'encadrement à la catéchèse, les mouvements d'enfance et de jeunesse, etc... Au Burkina c'est plutôt le clergé qui est la locomotive et les laïcs ensuite sont associés, l’initiative ne leur revient pas. Ici le niveau de formation intellectuelle et professionnelle est un atout majeur pour les laïcs qui, du reste, sont préparés à la tâche par des formations pastorales complémentaires.
Dans toutes les contrées que l’on traverse, une chose m’a profondément marqué : les clochers qui surplombent la quasi-totalité des édifices. Pour moi c’est le signe que l’église de France était florissante. Mais actuellement, quoique mon jeune âge joue contre moi, je peux dire qu’on ne sent pas la ferveur religieuse de ceux qui, il y a longtemps nous ont évangélisé l’Afrique. Les vocations sacerdotales se sont raréfiés à l’évidence lorsqu’on constate que le clergé compte plus de prêtres avancés en âge que de jeunes. Et que dire des célébrations eucharistiques ! Les acteurs de la liturgie, l’assemblée des fidèles, les choristes, les lecteurs et lectrices ne sont pas les plus jeunes ce qui est tout à fait différent dans notre église burkinabé qui n'a que cent dix-neuf, cent vingt ans,.
Les célébrations (baptême, mariage, confession, eucharistie) ?
Je n’ai pas encore eu la joie de célébrer tous les sacrements dévolus au pouvoir du prêtre et je crois qu’il est prématuré d’apprécier à sa juste valeur ce qui se fait après seulement cinq mois.
L’Eucharistie, "source et sommet de toute l’activité de l’église" (La sainte Liturgie selon le Concile Vatican II) est crue et vécue avec foi et espérance. Des fois je me dis que les "vieux" – c’est une désignation honorifique au Burkina – comprennent le sens du mystère que nous célébrons plus que moi-même qui suis prêtre ! On est obligé de se mettre à leur écoute, à leur école. Mais on se rend compte aussi qu’il y a eu trop de bouffées d’air de ce monde dans notre univers ecclésial. Personnellement, je n’aime pas les célébrations excessivement longues, mais il ne serait pas bien non plus à mon sens de vivre l’Eucharistie, un si grand mystère, au top chrono.
Concernant le sacrement de la réconciliation (confession) j’ai remarqué un manque d’intérêt. Généralement on constate un regain d'intérêt des fidèles pour ce sacrement à l’approches des grandes fêtes chrétiennes. C’est vrai que je n’ai pas pu vivre moi-même Noël comme il faudrait, mais je n’ai pas senti cette affluence comme sous d’autres cieux. C’est au compte goûte que les fidèles en expriment le besoin, et peu savent en quoi consiste la confession : comment débuter, quoi dire, qu’est-ce que l’acte de contrition, etc...
C’est pratiquement la même chose pour le mariage. On a l’impression que le mariage est une simple formalité et non un état de vie voulu par Dieu dès les origines. Ici, qu’on se marie ou pas ça ne dérange personne, chez nous c’est inconcevable. Il y a certes votre liberté, votre consentement, mais c’est davantage une affaire de familles, de société. Si bien que le mariage revêt un caractère contraignant et d’engagements vis-à-vis des familles des mariés.
La pratique d’administrer systématiquement le sacrement de baptême en dehors de la messe m’a laissé perplexe. Ce n’est pas illicite bien sûr et il y a sans doute des raisons objectives qui ont conduit à cela. J’aurai cependant souhaité que par moment on puisse célébrer ce sacrement au cours de la sainte messe.
Je ne saurais conclure sans vous dire ma reconnaissance pour le service d’église que vous rendez. Je vous remercie pour cet entretien, et je m’excuse auprès des lecteurs pour les points de vue subjectifs et toute imperfection.
Merci à Monseigneur Vincent DOLLMANN, Archevêque de Cambrai, aux prêtres, religieux et religieuses. Merci à tous les fidèles qui se donnent sans compter pour cette église, vivante et fraternelle. Portés par le Christ, il ne nous abandonnera jamais !
Propos recueillis par Michel LAISNE